La procédure judiciaire

Au tribunal, le juge est souverain pour évaluer le montant des dommages et intérêts. Cependant les conclusions des rapports des experts judiciaires sont généralement retenues par les tribunaux.

Une tendance répandue des avocats est de négliger la procédure d’expertise amiable d’assurance et d’aller directement en procédure judiciaire pourtant généralement plus longue.

Pour autant, le recours directement à la voie judiciaire s’impose, notamment lorsque :

  • le responsable du sinistre n’est pas assuré, mais solvable et ne veut pas d’une indemnisation amiable
  • et comme l’indique la FFSA (Fédération Française de Sociétés d’Assurances) dans son recueil de notions juridiques utiles à l’expertise « … on ne peut que se borner à constater que le recours à une expertise judiciaire est quasiment inéluctable lorsque les intérêts en jeu sont très importants et/ou les sociétés impliquées nombreuses« .

Face à un tiers et /ou de son assureur : l’indemnisation peut être recherchée directement par la voie judiciaire au titre de la responsabilité civile, c’est-à-dire pour une réparation intégrale sauf conditions contractuelles moins avantageuses.

Face à l’assurance de l’entreprise, l’expertise amiable contradictoire a un caractère obligatoire du fait de la primauté des conditions contractuelles du contrat d’assurance (C. civ., art. 1134) et l’indemnisation portera sur « tout ce qui est prévu au contrat et rien que ce qui est prévu au contrat.
Ainsi, la victime ne peut entamer une action judiciaire que si cette expertise n’est pas terminée généralement passé 6 mois à compter de sa transmission de l’état des pertes à son assureur.

Le début de la procédure judiciaire consiste généralement à demander par assignation en référé une expertise judiciaire préalable :
– au Tribunal de commerce pour une société d’assurance
– au Tribunal de Grande Instance pour une mutuelle.

L’étendue du contenu de la mission est primordiale afin que l’expert judiciaire ne puisse pas écarter certaines  demandes d’indemnisation. Après consignation d’une provision, c’est l’expert judiciaire désigné par le tribunal qui convoque les parties dans le cadre de ses opérations d’expertise.
Le caractère contradictoire doit être strictement respecté. Il consiste à entendre les arguments et les réponses de toutes les parties qu’il est souhaitable de confirmer sous forme de dires écrits à expert avec diffusion également à toute les parties.

Ces  experts judiciaires sont des techniciens reconnus dans leurs spécialités techniques pour apprécier les dommages matériels. S’agissant de l’indemnisation d’une perte d’exploitation, ces experts sont généralement profane de la finance et de la comptabilité d’entreprise et dans l’ignorance de la jurisprudence sur l’indemnisation des préjudices économiques perte d’exploitation. Faute d’avoir demandé un second expert judiciaire financier pour la perte d’exploitation, l’expert désigné devra faire appel à un « sapiteur » généralement un expert-comptable judiciaire.

L’expert judiciaire bénéficie d’une grande latitude pour mener ses opérations.
Pour une parfaite transparence et surtout un respect du caractère contradictoire, il apparait souhaitable que chaque réunion fasse l’objet d’une note de synthèse dans laquelle l’expert indique aux parties ses impressions et ses conclusions provisoires. Mais tous ne le font pas.
Certains ne communiquent une note de synthèse que parce qu’ils sont obligés d’informer le juge de l’avancement de leurs opérations (art 273 du NCPC) particulièrement quand il faut un délai supplémentaire (art 279 du NCPC) et/ou des honoraires supplémentaires …

A la fin de ses opérations, l’expert judiciaire adresse aux parties sont projet de rapport définitif. Les parties ont alors un délai (généralement d’un mois) pour formuler des observations sur cette position, soit pour aller dans le sens de l’expert, soit pour tenter de le faire changer d’avis, ce qui sera très rare !

Une fois ces observations formulées, l’expert dépose son rapport qui permet d’engager une action judiciaire sur le fond pour obtenir l’indemnisation. Ce rapport met en évidence les causes des désordres, l’évaluation des indemnisations ainsi que les circonstances mettant en cause la (les) responsabilité puisque cette notion de responsabilité reste du seul ressort du juge.

Au début de ces opérations d’expertise judiciaire, le plus généralement face à la faute d’un tiers, il va falloir initialement démontrer la faute du tiers et son lien de causalité avec les dommages subis selon le mécanisme de la responsabilité civile.
Le contexte est plutôt conflictuel, ou pour le moins contentieux, face à un assureur et à son client qui vont tout tenter pour être dégagés de la garantie et minimiser l’indemnisation.

Ainsi, il ne faut pas perdre de vue, comme indiqué dans le « Recueil de notions juridiques utiles à l’expertise responsabilité civile » publiée la Fédération Française de Sociétés d’Assurances  » la preuve s’apporte par un jeu dynamique d’arguments et de contre-arguments techniques et le débat sera en définitive gagné par celui qui aura apporté au moment opportun l’argument le plus pertinent » alors il va falloir vaincre sur les freins et réticences des experts.

Faute d’avoir un second expert judiciaire financier, ce ne sera que plusieurs mois après, lorsque l’évaluation des dommages matériels sera finalisée que sera examinée la perte d’exploitation, alors la situation commerciale et financière de l’entreprise seront dégradée et que des pertes se seront accumulées.

Ainsi, un nouveau délai sera nécessaire pour la perte d’exploitation, alors que l’entreprise n’aura perçue que l’indemnité immédiate des dommages matériels. Dans les faits celle-ci sera surtout utilisée pour résorber des concours bancaires et/ou régulariser des charges en retard … alors qu’aucun acompte n’aura été versé pour la perte d’exploitation.

Si le montant réclamé pour la perte d’exploitation est insuffisant, les difficultés financières perdureront après l’indemnisation. Or, notre cabinet rencontre trop souvent des évaluations faites directement par les entreprises, avec ou sans l’aide de leur expert-comptable, qui sont sous-évaluées dans des proportions parfois très importantes.

Surtout, le juge ne peut statuer sur ce qui ne lui a pas été demandé (extra petita), ni accorder plus qu’il lui a été demandé (ultra petita), ni omettre de statuer sur un chef de demande (infra petita). Ainsi les juges sont tenus de répondre exclusivement sur les montants de la demande d’indemnisation sans pouvoir ajouter d’autres préjudices éventuels que la victime (le demandeur) aurait oublié ou sous-estimé.

Faute d’avoir un second expert judiciaire financier, l’expert judiciaire va choisir un sapiteur financier qui va représenter un réel danger car généralement celui-ci va fixer un montant de perte d’exploitation tout seul « dans son coin » au mépris du respect du caractère contradictoire puisqu’il n’a à rendre compte qu’à l’expert judiciaire.
Il faut impérativement exiger que l’avis technique du sapiteur respecte le caractère contradictoire et soit discuté en réunion en présence de l’expert judiciaire, qu’il utilise la bonne méthode d’évaluation dite « soustractive » et qu’il évalue tous les chefs d’indemnisation reconnus par la jurisprudence.

Fort heureusement, les récentes précisions apportées par la Cour de cassation permettent maintenant de « cadrer » les sapiteurs financiers. Ainsi toutes les évaluations de notre cabinet débutent par un rappel de la communication de la Cour de cassation afin que tous les postes indemnisables soient retenus.

C’est pourquoi nous invitons les entreprises à faire appel à un expert spécialiste des pertes d’exploitation qui saura traiter également de la responsabilité civile et de l’indemnisation des dommages matériels alors qu’à l’inverse le plus généralement les experts d’assurés n’appréhendent pas ou mal les pertes d’exploitation.