Les dits et non-dits de l’indemnisation

L’indemnisation d’une perte d’exploitation a pour objet la réparation d’un préjudice économique, conséquence d’un chiffre d’affaires perdu suite à un dommage subi selon 3 fondements juridiques distincts :

Deux procédures de réparation cohabitent : celle de la procédure amiable des assureurs ou la procédure judiciaire.

 

L’indemnisation réclamée par l’entreprise victime représente un coût pour l’assureur et/ou le tiers fautif, de sorte que cette réparation est généralement conflictuelle puisqu’elle repose sur des intérêts opposés entre l’entreprise victime et un (ou des) assureur.
Plus parfois une opposition conflictuelle entre le tiers fautif et son propre assureur qui conteste tout ou partie de sa garantie.
Ainsi, on est face à des experts d’assurance qui s’efforceront de minimiser l’indemnisation.

Une indemnisation insuffisante menacera la survie de l’entreprise alors que l’objet de l’indemnisation d’une perte d’exploitation vise à la replacer dans la situation où elle se serait trouvé sans arrêt ou diminution d’activité en permettant de retrouver l’équilibre commercial et financier selon la durée nécessaire au rétablissement complet de l’activité.

En cas de faute extra-contractuelle d’un tiers (non lié contractuellement) s’applique le principe de la réparation intégrale.

Dans le cadre d’une faute contractuelle, le principe de la réparation intégrale, engageant la responsabilité délictuelle, trouvait également à s’appliquer sous l’influence de jurisprudences favorables aux victimes (Cass. Ass. Plein. 6 octobre 2006, pourvoi 05-13-255). Mais, la Cour de cassation  exigeait la preuve d’une défaillance fautive pour bénéficier de la réparation intégrale.
Depuis la réforme du droit des contrats (octobre 2016), la limitation contractuelle d’un montant d’indemnisation plus faible l’emporte.
Récemment, la Cour de cassation a précisé que la défaillance à un engagement contractuel (livraison sans vices) ne peut constituer à lui seul une faute délictuelle ouvrant droit à la réparation intégrale (Cass. 3° civ. 18 mai 2017, pourvoi 16-11-203).
Une réforme du droit de la responsabilité civile devrait prochainement clarifier cela en confirmant la primauté de la limitation contractuelle des montants indemnisables.

Dans la pratique , seul un préjudice direct, certain et évaluable sera indemnisé au titre d’une perte d’exploitation. C’est la comptabilité qui conforte le caractère certains et qui fera la différence avec une perte de chance.

Parfois, il faudra quitter l’expertise d’assurance amiable d’assurance pour passer en judiciaire notamment en cas d’opposition entre plusieurs éventuels responsables du sinistre ou pour un montant réclamé très important, voire face à la mauvaise foi d’une assurance et/ou de l’expert d’assurance.
Pour autant, si une action judiciaire est déclenchée trop tôt (tendance naturelle des avocats), les assurances déclineront une indemnisation amiable pour attendre l’issue du jugement et il ne sera plus possible d’obtenir des acomptes.

Sur le principe, en France :

  1. c’est à la victime d’évaluer le montant de l’indemnisation qu’il réclame. Mais dans la pratique, on voit trop souvent des entreprises s’en remettre à l’évaluation des experts d’assurances. Or il est constant qu’ils tenteront de minimiser leur indemnisation.
    Leur faire confiance confine au « suicide » comme faire confiance à l’avocat d’un adversaire …
  2. Face à la défaillance d’un tiers, que ce soit en procédure d’assurance ou en judiciaire, en plus de l’évaluation du montant de l’indemnisation réclamée, c’est également à la victime d’apporter la preuve et le lien de causalité impliquant le tiers, selon le mécanisme de la responsabilité civile.

Les opérations d’expertises vont d’abord porter sur les aspects juridiques qui repose sur des intérêts opposés :

  1. Face à son assureur, ce sont les conditions générales et particulières du contrat qui limitent l’étendue de votre indemnisation. Mais, votre assurance va tenter de se dérober et de limiter sa garantie
    – d’abord sur l’application du contrat (activité qui aurait pu changer, ajustabilité des capitaux assurés en cas d’acquisition de nouveaux équipements, règle proportionnelle en cas de surface accrue, … etc.
    – ensuite et surtout sur l’application de son contrat et de ses exclusions  encore que la justice en limite la portée si elle dénature trop l’application du contrat d’assurance
  2. les assurances des tiers défaillants ou fautifs vont tenter d’abord de dégager la responsabilité civile de leur assuré. Puis elles vont sensiblement développer la même approche qu’avec votre propre assureur notamment pour les exclusions La réclamation à l’assurance d’un tiers.

 

Puis les opérations d’expertises vont se poursuivre sur l’évaluation des dommages matériels :
L’évaluation des dommages matériels se fait avant les dommages économiques, occultant pendant de nombreux mois, voire parfois plusieurs années l’évaluation de la perte d’exploitation.

Ainsi, un nouveau délai sera nécessaire pour les opérations d’évaluation de la perte d’exploitation :
Lorsque l’entreprise percevra,  plusieurs mois après le sinistre, sa première indemnisation (l’indemnité dite immédiate), alors sa situation commerciale et financière aura continué à se dégrader et des pertes se seront accumulées … Dans les faits, cette indemnisation sera surtout consacrée à résorber des concours bancaires et régulariser des fournisseurs et charges en retard … sauf à avoir perçu des acomptes.

En procédure judiciaire 3 écueils  supplémentaires vont s’ajouter :

– Les sapiteurs : c’est  l’expert judiciaire, compétent pour les dommages matériels mais profane en matière financière, qui va faire appel à un sapiteur financier. Ainsi, à partir de la demande de l’entreprise et la proposition de l’assurance, ce sapiteur va évaluer généralement « dans son coin » (non contradictoirement) le montant à indemniser, ce qui représente un danger de sous-évaluation évident.
Cette difficulté peut être contournée si l’avocat de l’entreprise sinistrée demande la désignation d’un second expert pour l’indemnisation de la perte d’exploitation voire d’exiger de l’expert judiciaire de respecter le contradictoire sur l’évaluation financière.
Reste qu’il faut convaincre les experts judiciaires et leurs sapiteurs financiers.


Certains comportements des avocats peuvent entrainer une prolongation des opérations d’expertise :
notamment lorsqu’ils mettent également en cause la responsabilité d’autres tiers en ayant ajouté de multiples mises en causes supplémentaires qui  entrainent un rallongement de l’expertise.

Le choix d’un avocat nécessiterait qu’il soit au fait de la jurisprudence spécialisée concernant :
– l’étendue de l’indemnisation des préjudices financiers
– l’application du Code des assurances
– l’évolution de la responsabilité civile.
Il en existe quelques rarissimes, mais ils travaillent généralement pour les assurances …

Alors l’entreprise devra s’en remettre à un avocat plutôt généraliste et ignorant l’essentiel des jurisprudences applicables et se posera la question de faire appel ou non à un expert spécialiste des pertes d’exploitation ? d’autant que selon le principe judiciaire dit « ultra petita », les juges ne peuvent accorder plus que demandé,  même en cas de sous-estimation manifeste de la demande de la victime.

Ainsi, pour certains dossiers dont les réclamations portées par les avocats des entreprises victimes portaient initialement sur 100.000 € et 300.000 €, l’intervention de notre cabinet à permis d’obtenir respectivement 550.000 € et 1,260 millions € …

Surtout, il ne faut pas oublier qu’une perte d’exploitation insuffisamment indemnisée menacera la survie de l’entreprise.